Les Hauts Parleurs 

2021-2022 (en cours)

Techniques mixtes

Dimensions variables

©Jérôme Girard

«  Aujourd’hui, l’artiste réfléchit à comment transformer le haut-parleur, outil à la base du processus-même de transmission et de réception du son, en un dispositif d’expérimentation collective. Tout en constituant un topos des arts sonores, les haut-parleurs habitent les enceintes acoustiques ainsi que nos Smartphones, les mégaphones des manifestants ou les LRAD policiers employés contre les foules.

« J’ai pensé à fabriquer des outils pour tous ces gens qui parlent haut. Une œuvre qui traite de son mais qui n’en fait pas forcément », cela est le projet de Jérôme Girard, qui, en étudiant les ingénieries du son, modèle davantage ses potentialités plastiques et politiques. Un nouveau déroutage matériel et conceptuel est ainsi à l’origine de ses Hauts Parleurs : non pas dispositifs électroacoustiques mais sculptures praticables, non pas caisses de résonance mais estrades pour lever la voix. Socles, plateformes, escabeaux sont fabriqués à partir de ce qu’on utilise, on vide, on jette. Ces objets disparates – briques inutilisées, bacs de rangement et caisses de transport – une fois altérés, reviennent à leur société consumériste pour donner voix aux discours urgents qui animent nos espaces publics. Au sein d’une installation qui se fait arène, les parleurs sont invités à prendre leur position et déclamer à voix haute collectivement et simultanément des discours apportés ou fournis sur place.

C’est dans l’ambiguïté d’un échec possible que l’installation trouve son aboutissement, en fabriquant un espace où libérer la voix tout en expérimentant les limites de son efficacité. Dans la polyphonie issue d’une multitude de voix individuelles, on risque de s’entendre sans s’écouter, on prend la parole en en privant les autres. Ces hauts parleurs sont alors autant de bâtons de parole, dont on s’empare pour participer au discours, que d’instruments de pouvoir ; autant de trampolines de lancement que des podiums inégaux où subir la disparité de l’accès à la parole partagée. Le résultat serait celui d’une pollution sonore ou d’un bruit blanc : une multitude de fréquences aux cycles différents et aléatoires dont l’effet audible est celui de « neige sonore ».

En retour, si les hauts parleurs nécessitent une activation par des voix apportées, dans l’absence de ces dernières ils demeurent autonomes. Dans l’attente d’usagers – « crieurs » – les estrades s’empilent les unes sur les autres, composant un écrin de potentialités sonores, où les discours restent muets, imprimés sur des feuilles posées aux côtés. Les hauts parleurs génèrent ainsi leur propre voix, celle d’un silence expressif, qui impose au spectateur une attitude d’écoute. »

Valentina Ulisse, 2022